Mourir pour la France en Algérie. Armée, État et familles face aux morts de l’armée française pendant la guerre d’Algérie (1954 – années 2010)./ Manon Walin

Soutenances de thèse

Résumé de la thèse :

Pendant la guerre d’Algérie, près de 30 000 hommes sont morts sous les drapeaux français. Cependant, en France, cette guerre n’a jamais été déclarée. La communication officielle du gouvernement s’en tient à l’évocation d’opérations de maintien de l’ordre, pour ne pas donner de légitimé aux revendications nationalistes algériennes. Ces morts meurent donc sous un régime juridique de temps de paix, ce qui a de multiples conséquences sur leur gestion institutionnelle et symbolique.

Notre travail suit leur parcours, de leur décès à leur mémoire, afin de saisir l’ensemble des enjeux qu’ils soulèvent pour les institutions et la société française.

Armée, État et familles sont mises en dialogue pour rendre visibles les différentes dimensions de la mort. Le conflit franco-algérien est asymétrique, et on meurt relativement peu côté français, par comparaison avec les guerres précédentes que le pays a connues. Cette faible létalité donne à la mort un contour singulier, celui d’une mort qui aurait pu ne pas advenir. Mais l’armée française doit malgré tout faire face à une mort très fréquente, voire massive : l’institution et ses acteurs ont alors mis en œuvre des processus et des pratiques de gestion des morts, autant logistiques que symboliques. Les combattants décédés sont récupérés, mis en bière, puis honorés lors d’une première cérémonie d’obsèques, avant d’être restitués à leurs familles. Pendant la guerre d’Algérie, la quasi-totalité des corps des combattants de l’armée française ont en effet été rendus à leurs proches. Si cette pratique inscrit le conflit algérien dans une tradition mise en place après la Première Guerre mondiale, en revanche sa mise en œuvre dans ce contexte est compliquée : le conflit se déroulant en temps de paix, c’est d’abord le ministère de la Défense qui la prend en charge, alors que ce rôle revient, en temps de guerre, au ministère des Anciens combattants. Cette situation entraîne des difficultés logistiques et administratives qui poussent les institutions à s’adapter et à redéfinir leurs champs de compétences. À l’arrière, pendant la guerre, la société française – en Algérie comme en métropole – reçoit des échos de la mort des combattants. Cette information vient troubler la communication officielle qui assure qu’il n’y a pas de guerre en Algérie. Après avoir essayé de minimiser leur visibilité (1956-1958), les institutions civiles et militaires finissent par réintégrer les morts à la communication officielle. Elles adoptent une rhétorique de funambule visant à les normaliser en les honorant comme des morts de guerre, répondant ainsi aux attentes de la société civile. L’opinion publique a parfois été sensible à la mort des combattants en Algérie, qui sont principalement des appelés, mais les périodes d’indignation sont assez restreintes, et seuls les communistes dénoncent ces morts de manière constante.

La société française est encore habituée à la mort de guerre, et la guerre d’Algérie ne remet pas en cause l’acceptation du principe du sacrifice patriotique, malgré son contexte singulier. Les exigences portent plutôt sur le traitement de ces morts, que l’on souhaite voir traiter comme des morts de guerre : sous cette pression, leurs obsèques définitives sont progressivement organisées comme des funérailles publiques, à l’image de celles des combattants de la Première Guerre mondiale. C’est dans ce dialogue et en réponse aux attentes de la société que se construisent également, pendant et après la guerre, une reconnaissance et une mémoire de ces morts. Cette dernière est d’abord portée par la société civile, avant d’être finalement, plusieurs décennies après la fin du conflit, en partie prise en charge par les pouvoirs publics. Le contexte spécifique de la guerre d’Algérie, celui d’une guerre niée, a pesé sur la mémoire de ses morts, mais également, comme le montre finalement notre travail, sur la façon dont les familles des combattants décédés ont fait face à la mort et au deuil de leur proche.

Informations pratiques

Vendredi 5  avril 2024
> 14h00
Université Paris-Nanterre, Bâtiment Pierre Grappin, salle B015 René Rémond

Le jury sera composé de :

Mme Raphaëlle BRANCHE – Professeure, Université Paris Nanterre, Directrice de thèse
Mme Gaëlle CLAVANDIER – Professeure, Université Jean Monnet – Saint-Étienne, Rapporteure
Mme Stéphanie SAUGET – Professeure, Université de Tours, Rapporteure
M. Bruno CABANES – Professor, Ohio State University, Examinateur
Mme Malika RAHAL – Directrice de recherche CNRS, Université Paris 8, Examinatrice
M. Stéphane TISON – Maître de conférences, Le Mans Université, Examinateur